Jean-Luc Colonna

Merci est à la fois une boutique, un site et une histoire. Et surtout, c'est une expérience. Grâce à cette interview avec un des esprits créatifs de la maison, j’espère pouvoir vous donner un regard privilégié à l’intérieur d’une société pas comme les autres.

 

Quel est votre rôle chez Merci ?

D’abord, il faut dire qu’il n’y a pas beaucoup de titres chez Merci... Je dirige le pôle maison et je m’occupe du marketing, donc de tout ce qui touche à l’actualité, aux évènements, aux fêtes, à l’expérience Merci en somme. Et la Fiat, je m’occupe aussi de la Fiat 500. Donc pour résumer ! Je m’occupe d’alimenter Merci en produits maison et de faire de sorte que le lieu ne soit pas qu’un magasin, ce qui est fondamental pour nous.


Pourquoi la Fiat 500 ? (Je m’égare déjà de ma liste de questions... Ca commence bien...)

Comme toujours chez Merci, la Fiat 500 est le fruit d’une histoire qui part de l’esthétique et du plaisir. Deux mois avant l’ouverture de la boutique en 2009, Marie France (Cohen, la fondatrice de Merci) découvre une exposition de photos dans laquelle figure une Fiat 500. Elle prend son téléphone et appelle le photographe pour lui demander si elle peut reconstituer le projet pour l’ouverture de Merci. Ce que nous avons fait. Et puis quelques semaines plus tard, il fallait que la Fiat parte. Et là, interdiction totale de l’enlever ! Les clients l’adoraient, on faisait la queue pour se prendre en photo avec. Donc elle est restée. La pauvre, elle a des gros problèmes de personnalité parce qu’elle change de tenue toutes les trois semaines, elle voyage, on lui enlève des morceaux. Elle est devenue notre mascotte. Elle représente très bien Merci. Elle est très chic mais très simple. Elle ne se prend pas au sérieux. Elle est sympathique. Personne n’est contre une Fiat 500. 


Cette histoire est symbolique du mode de fonctionnement de Merci ?

Oui, parfaitement. On se voit ensemble avec Marie-France et d’autres membres de l’équipe, on discute, on se demande ce qu’on a envie de faire.  Et tant que personne ne dit « je n’ai pas envie », on fait.  Il y a un côté « pourquoi pas ». On part souvent du constat qu’il n’y a pas de raison de ne pas faire. Après, rien n’est le fruit du hasard non plus. Il faut dire que nous avons des très fortes convictions par rapport à ce que nous ne sommes pas. Nous ne sommes pas une galerie d’art par exemple.

Pour les achats, c’est pareil. Il faut faire des choix car même si Merci est un grand magasin, c’est toujours trop petit. La maison chez Merci, ce n’est pas de la décoration par exemple ; c’est des objets qui ont une fonction identifiée. A l’intérieur de cette fonction, il y a la diversité des styles. On peut mettre des choses ensemble qui sont de nature très différente. Du vintage avec du contemporain, un verre Duralex avec une assiette italienne sublime encerclée d’étain. C’est ce qu’on appelle dans le jargon de Merci « l’un et l’autre », c’est à dire qu’on n’a pas envie de choisir ! Si on me demande si je suis classique ou design, je n’ai pas envie de répondre. Je suis l’un et l’autre. Comme tout le monde. On est tous une accumulation de vies. Merci n’est pas un magasin diktat. On est contre le total look et pour la liberté, l’éclectisme.

L’uniforme par exemple est un bout de chiffon rouge. Comme les français ont un problème avec l’autorité, on ne peut pas leur demander d’être en uniforme ! On peut tout juste leur donner ce bout de chiffon et leur demander de faire ce qu’ils veulent avec. On ne peut pas faire moins que ça ! On veut juste que le client puisse reconnaître qui est un serveur. Mais c’est un symbole de merci. On est contre l’uniforme. Ce n’est pas excitant les clones ! Il y a douze nationalités qui travaillent dans la boutique. Vous voyez, « l’un et l’autre », ce n’est pas que pour les produits, c’est pour les gens aussi. Ici, les gens très différents se retrouvent sous le même toit grâce à Merci. (La boutique du boulevard Beaumarchais accueille 1 million de clients par an).


Il y a un mois, les Echos a annoncé que Merci changeait de mains. Quel sera l’avenir de la maison ?

On va continuer l’aventure ici à Paris et au même temps, nous allons préparer un avenir qui se fera aussi à l’international. Dans les années à venir, un Merci verra le jour à Londres et un autre à Tokyo. Il ne s’agit pas de dupliquer Merci mais de réinventer l’histoire dans d’autres villes. Ce qui nous amuse, c’est l’idée d’avoir trois laboratoires de gens et d’idées, ce qui va nous permettre de réinventer Merci avec les mêmes valeurs.  Et puis tout ce qu’on va faire à l’étranger va également irriguer Merci à Paris.

On fait 15 événements par an mais on n’est pas dans la modélisation, rien n’est programmé, il n’y a pas de powerpoint, pas de réunions. Notre motivation, c’est plutôt une célébration des talents, on adore les gens brillants ! Quand on en voit, on dit « stop, arrêtez la, on a envie de vous présenter à nos amis » ! On a envie et on fait. C’est comme l’idée de présenter Woodkid, c’était décidé jeudi dernier et installé lundi. Point. Et c’est trop bien comme ca.

Alors certes, tout n’est pas toujours parfait, mais il y a plein de magasins parfaits que je trouve aussi parfaitement ennuyeux. Chez Merci, on ne cherche pas la perfection. On cherche l’émotion.


Enfinnnnnnnn, je vais pouvoir poser une question que j’avais préparée ! Je vais pouvoir demander à ce grand maître de l’expérience retail comment transmettre l’émotion via le web.

D’abord on a attendu 4 ans avant de faire le web chez Merci. Notre page « minitel » frustrait certains, mais tant que je n’avais pas une meilleure idée, je ne voulais pas faire. Mais aujourd’hui, quasiment 50% de nos clients viennent de l’étranger ; on s’est dit qu’il était temps de penser à eux. Nous avons voulu qu’ils puissent vivre l’expérience de Merci à travers le site. Pour y arriver, tout passe par l’éditorial. Editorialiser l’expérience Merci est très important pour nous. Ce qui conte est le contenu. L’e-shop est la conséquence du contenu mais pas l’inverse.

Comment traduire l’émotion visuelle ? On photographie in situ. Ca donne le contexte. Car si notre métier consiste à dire qu’une assiette italienne en porcelaine et étain et un verre Duralex ensemble c’est possible, il faut pouvoir l’exprimer visuellement. Le nôtre est d’abord un site d’images. Il n’y a pas de signalétique. Comme dans la boutique d’ailleurs. L’entrée passe par la photo comme elle passe par la mise en scène dans la boutique. Je pense que le site ressemble au magasin. On l’a fait au moment où on était prêt. Le faire plus tôt allait nous obliger à faire des artifices et on n’aime pas les artifices.


Vous aimez acheter en ligne ?

Alors, c’est très simple. Je n’achète pas, ni online ni offline. J’achète toute la journée donc la dernière chose que j’ai envie de faire quand je ne travaille pas, c’est du shopping ! Je suis un non-consommateur. J’achète à l’étranger parce que j’aime l’expérience de l’achat dans un autre environnement, c’est tout.

(A ce moment un client, qui cherche un livre dans la bibliothèque à côté de nous depuis une demi-heure, choisit un livre et s’en va vers la caisse. Jean-Luc est en extase, m’explique que ce geste a fait sa journée, que le commerçant en lui est heureux de voir ce monsieur trouver son bonheur, même si l’impact économique de cette vente à 3 euros n’est rien à côte de ce que je vois passer par la caisse de l’autre côté de la pièce...)


Vous êtes donc commerçant dans l’âme ?

Le métier de commerçant n’a aucun intérêt en soi. Ce qui est intéressant, c’est un garçon qui a créé un produit quelque part et qui le vend à quelqu’un d’autre qui ne sait pas que ce premier existe. Sans le commerçant, ils ne vont jamais pouvoir se parler. Ce qui m’intéresse dans le web, c’est que c’est un accélérateur de rencontres. Un japonais qui fabrique une lampe magnifique dans son studio à Tokyo va pouvoir la vendre dans 50 pays. C’est un grand speed dating pour moi ! Simplement il y a juste 10 secondes pour que la magie s’opère. Dans le magasin j’ai une heure. Le client se pose, il prend un café, il regarde les livres ; mais sur le web, j’ai 10 secondes. C’est la vie. Je m’adapte.

C’est la grande différence entre la distribution et le commerce. J’ai énormément de respect pour Amazon. La distribution c’est un tuyau qui sert à pousser les produits à la bonne vitesse et dans la bonne direction. Le commerce, c’est se donner la peine d’aller trouver un produit que quelqu’un n’aurait pas trouvé tout seul et le mettre en place dans les bonnes conditions. Et il y aura toujours une part de serendipity qui n’est pas pour me déplaire. Si on arrive sur la homepage et qu’on ne tourne pas les slides, on ne verra pas la lampe japonaise. Mais peut-être la prochaine fois, on la découvrira à travers une interview avec le créateur. Le pull est plus important que le push dans l’univers du beau, du plaisir.


Quel sera pour vous le web de demain ?

Je rêve que Merci devienne un site où les gens viennent chercher les produits ET de l’information. Comme un magazine. Via le web, on peut favoriser les plus petits par rapport aux plus grands. Le web est formidable pour ça, pour faire découvrir. C’est une caisse de résonance énorme. Bon, bien évidemment je ne passe pas non plus à côté de l’opportunité de parler des plus grands. Je ne fais pas du snobisme à l’envers. Le mois prochain on va faire un portrait de Tom Dixon par exemple. Mais ce que je veux dire, c’est qu’il n’a pas besoin de moi de la même manière que notre petit japonais avec sa lampe.

Tout ça pour dire que j’ai un grand intérêt pour le web mais je ne suis pas un consommateur online. Je suis un consommateur d’information. J’adore l’information !


Racontez-nous votre parcours ?

J’ai commencé à travailler au Japon, autrement dit j’ai été plongé très vite dans un univers où je ne comprenais rien ! De retour en France, j’ai travaillé pour des grands groupes en tant que consultant sur le customer service. Le client pour moi, c’est le point de départ. Pas les produits. Et puis j’ai créé plusieurs entreprises. D’abord j’ai monté une société de vente par correspondance qui s’appelait Bien Joué (la création de jouets éducatifs pour enfant) que j’ai vendue à la FNAC. Après j’ai monté une société qui s’appelait Resonances.


Et puis Merci ?

Oui, chez Merci ce que j’apprécie, c’est que nous avons une liberté extraordinaire. Et si cette liberté existe, c’est grâce à Marie-France. Sa grande qualité, c’est la confiance qu’elle fait aux gens qui l’entourent. Le business plan, il tenait sur un ticket de métro. Tout le risque était pour elle. La notion de risque, c’est dans l’ADN de Merci. Elle disait « on va créer cet endroit, ca va être trop bien ». Et elle avait raison. On a oublié de mettre les prix sur les articles le premier jour. Avec Marie-France, on était derrière la caisse et on disait aux clients « Ca ? 4 euros 50 ». Parce qu’on avait trop de choses à faire. Il fallait choisir les ampoules, décider entre le gris canon de fusil et le gris fusain de bois pour les murs. Il y avait des choses bien plus importantes que les prix !


Une dernière question. Vous êtes chic ou geek ?

Je ne suis pas geek du tout mais j’ai une fascination pour l’invention. Une solution qui rend la vie meilleure me fascine. J’adore ce qui est simple. La personne qui a inventé les Penguin books, pour moi c’est dieu sur terre. Mais si l’objet n’est pas beau, ce n’est pas possible. (Moi je dis qu'il est chic ce monsieur, quand même !)