Regis Pennel

Souvent, ces interviews sont précédées d'un paragraphe sur mon sentiment que les entrepreneurs ont des parcours plutôt exceptionnels. Ceci s'avère plus que jamais vrai dans le cas de Régis Pennel, fondateur de L'Exception. A ses débuts au Ministère des Finances, rien ne le prédestinait à fonder un site de mode réunissant quelques 400 créateurs français parmi les plus pointus. Mais Régis est toujours là où on ne l'attend pas.


Que faisais-tu avant l’Exception ?

J’ai une carrière atypique. J’ai commencé en tant que fonctionnaire au Ministère des Finances. Comme dans l’Auberge espagnole, j’avais des dossiers de toutes les couleurs et je devais les classer dans les bons tiroirs. J’ai fait ça pendant deux ans et je me suis rendu compte que ce n’était pas du tout la carrière que je voulais faire, c’était extrêmement ennuyeux.

J’ai toujours eu une passion cachée pour la mode et le luxe. J’ai donc postulé un peu partout et ai été pris chez Céline. Je suis entré dans la Maison au commercial/retail.

A l’arrivée de Phoebe Philo en 2010, je suis passé au Marketing et je me suis occupé des lancements des nouvelles lignes de maroquinerie. C’était passionnant de travailler avec quelqu’un d’aussi créatif que Phoebe en même temps qu’avec des contraintes marketing, de production, de timing, c’est le monde un peu fou du luxe et de la mode, la vraie. C’était vraiment intéressant. J’y ai passé 5 ans.

Suite à ça, j’ai créé l’Exception car je connaissais pas mal de créateurs indépendants au début de l’émergence du Marais comme zone de création indépendante. A l’époque, il n’y avait pas d’e-commerce haut-de-gamme en France. Il y avait bien Mon Showroom ou Place des Tendances mais qui visaient une autre cible. J’ai saisi l’opportunité, j’ai quitté Céline et créé l’Exception en 2011.


Le déclic, c’était l’émergence d’un marché de créateurs indépendants et le fait que le web était le forum idéal pour les réunir ?

Oui, c’était ça et c’est exactement ce que l’on a aujourd’hui puissance 10. C’était vraiment le début de toutes ces marques-là. Melinda Gloss a commencé à cette époque, ils faisaient leur rendez-vous dans un appartement, maintenant, ils défilent à Paris. AMI n’existait même pas, c’était encore une idée sur le papier. Toutes ces marques nous ont suivis. Certaines sont devenues hyper connues, d’autres un peu moins, d’autres ont arrêté. On a vraiment fait partie de ce mouvement d’émergence de jeunes marques françaises.

 

Si tu devais dire aujourd’hui ce qui te passionne vraiment, est-ce toujours cette passion cachée dont tu as parlé plus tôt pour la mode et le luxe, plus les créateurs ou plus le net ?

Aujourd’hui, ce qui nous ‘drive’, c’est l’offre, ce sont les créateurs. C’est aujourd’hui au moins 50% de mon boulot : rencontrer les créateurs, découvrir leurs collections, voir les nouveaux projets. Chaque nouvelle saison, on a 30 nouvelles marques, que ce soit l’homme, la femme, l’accessoire. On a toujours envie de tester de nouvelles marques.

Quand on voit des gens qui ont du talent, on a envie de les lancer aussi. Là-dessus, on est les plus innovants en terme d’entrées de nouvelles marques et les clients répondent énormément à ça d’ailleurs.

La façon dont je définis l’Exception, ce n’est pas une start-up telle que les gens la conçoivent. Derrière, c’est une passion de la mode.


Quand tu as décidé de créer cette plateforme, issu d’une Maison aussi internationale et ambitieuse que Céline, as-tu toujours vu l’Exception en grand ?

Au début, pas si grand que ça, et en fait, c’est l’expérience qui a fait qu’on s’est rendu compte que c’était une question de survie simplement et qu’il fallait être grand. Sur le web, soit le site se développe et il va tout de suite créer une grosse clientèle et driver beaucoup de trafic, soit forcément, au bout de trois ans, il va fermer. C’est ce qu’il s’est passé avec plusieurs sites qui se sont créés en même temps que nous. Nous sommes un des seuls survivants de la vague des sites créés en 2011, parce que, justement, on a compris vite qu’il fallait voir les choses en grand. Avec de la femme, de l’homme, du bijou, de l’accessoire, on voulait vraiment être un site multimarque qui couvre tous les besoins.


Ça te fait peur, parfois, de voir les choses en grand ?

Pas forcément, car, en fait, quand on voit les choses en grand, ce qui compte après, c’est quelles sont les équipes qui aident à développer ce projet. C’est aussi simple que ça. A partir du moment où on a une belle offre, on peut voir les choses en grand car on a de bons créateurs, on sait que les clients vont répondre à cela.


Aujourd’hui, tu chapotes cette équipe et tu réunis un certain nombre de qualités : une partie créative, une partie très administrative mais financière de par ton parcours lointain. Trouves-tu que c’est dur d’affronter cela seul ?

Tu n’es jamais seul car tu es aidé par deux types de personnes : tes investisseurs, car, forcément, quand on est gros, on a des investisseurs, et avec des investisseurs solides comme les nôtres, ce sont des gens qui nous aident vraiment dans les décisions, c’est très important. Le deuxième appui, ce sont les équipes. Chacun a sa spécificité, chacun a son métier. Je délègue énormément, je laisse les gens se gérer à 100%. C’est du pur macro-management car, en fait, je n’ai pas le temps de gérer du micro-management aujourd’hui. J’ai une équipe qui est vraiment super et, du coup, ils s’entraident avant de remonter le problème à mon niveau.


Les différents styles de management sont intéressants mais on a tendance à finir avec l’équipe qui vous ressemble.

Les start up aujourd’hui, ça ne fonctionne pas avec les personnes qui souhaitent du micro-management. Quelqu’un qui a besoin d’être coaché, d’être pris par la main, il ne peut pas se développer en start up parce qu’il sera tout de suite perdu. Je l’ai vu par rapport aux gens qui sont passés chez nous. Les gens qu’on a gardés sont des gens extrêmement indépendants, qui sont très matures pour leur âge et qui sont tout de suite montés à des postes à responsabilité.


L’évolution de l’Exception : je sais qu’il va y avoir ce show room physique. Est-ce que l’on peut parler de cette évolution, savoir comment tu vas mélanger physique et e-commerce ?

L’évolution, c’est d’abord un showroom physique que l’on va ouvrir à la demande de nos clients. Ils veulent venir essayer les produits. Il y a un besoin car cette offre-là n’est pas disponible à Paris en physique. Nous avons 4000 références en ligne : un grand magasin ! Aujourd’hui, cela va être en test sur une petite surface et l’idée est, à fin 2015, avoir une vraie surface, entre le concept store et le showroom. C’est une boutique liée à une boutique online, c’est un nouveau concept qui n’existe pas vraiment à Paris encore.


Où se trouve l’habitat naturel de l’Exception ?

L’habitat naturel de l’Exception ne sera pas dans le Marais car nos créateurs y sont déjà. On va s’installer à un endroit où personne ne nous attend, quelque chose d’atypique.

 

Quel serait ton conseil pour un entrepreneur qui se lance dans l’univers du net ?

C’est d’y croire et d’y aller. Je pense que c’est l’un des meilleurs métiers que l’on puisse faire, être entrepreneur. La plus belle gratification que l’on a dans ce métier, c’est de créer de l’emploi.

Après, je pense qu’il faut garder confiance en soi. Pour être entrepreneur, il faut être optimiste, déjà. C’est la qualité numéro un d’un entrepreneur.  

C’est aussi prendre du recul et ne pas s’entêter dans la mauvaise direction. Savoir faire un point sur où je voulais aller, où j’en suis et, à un moment, peut-être se dire que ce n’était pas la bonne idée. Cela ne sert à rien de s’entêter si ce n’est pas le bon truc.


Un héros du net, une vraie source d’inspiration entrepreneuriale ou business, quelqu’un que tu admires, qui a déjà franchi des étapes extraordinaires, ce serait qui pour toi ?

J’ai plus d’admiration pour des gens qui sont créatifs, des gens qui sont dans la mode comme Phoebe Philo, ce genre de personnes qui sont hyper bons car ils sont créatifs, capables de gérer des boîtes, capables d’avoir une vision hyper large sur l’architecture, le design, sur la mode. Ce sont des gens avec qui je ne peux pas du tout m’identifier car ce n’est pas le même métier mais ce sont des gens que je peux admirer. Je pense que c’est lié au fait que nous avons peu de culture web, pour une start up, cela peut paraître bizarre, par contre, on est dans les réseaux de la mode. C’est la différence avec les autres sites. C’est pour cela que l’on a plus de 200 créateurs qui bossent avec nous.


Serait-ce trop compliqué de te demander tes créateurs de prédilection ?

C’est compliqué car on a tellement de marques ! Personnellement, sur la femme, il y a des marques que j’adore et qui, pour moi, ont un très gros potentiel. Il y a Aude Castéja chez Monographie, nouvelle marque qui, de saison en saison, montre qu’elle est en train de construire quelque chose de fort. Risto aussi, qui a vraiment du talent. Toutes ces marques sont les futurs grands de demain. Wanda Nylon aussi, qui a un très beau produit, qui est très segmenté, et qui peut paraître très compliqué mais que l’on vend bien.

Sessùn, c’est une marque qu’on adore, ses équipes sont géniales.

Sur l’homme, on a Melinda Gloss forcément qu’on aime beaucoup, Commune de Paris qui est une de nos meilleures ventes, Études Studio et AMI qui, en terme de mode masculine, est au top. On a tellement de personnes talentueuses avec lesquelles on bosse, c’est hyper intéressant tous les jours.


Achètes-tu toi-même en ligne ?

Oui, je n’achète qu’en ligne quasiment, j’achète principalement chez moi. Je fais partie des meilleurs clients de l’Exception ! (rires)


Si je pouvais te bloquer l’url de l’Exception…

J’irais alors vers les marques indépendantes qui vendent en ligne. Souvent, je repère des marques dans les salons, et quand la pièce que j’adore sort, je l’achète en ligne. Les marques super sympas, c’est surtout les marques scandinaves, il y a Stutterheim qui est géniale, Hentsch Man aussi. Et j’aime beaucoup Mr Porter.


Lis-tu des blogs ?

Peu car je n’ai pas beaucoup de temps. Quand j’ai un peu de temps, je lis la presse, plutôt la presse féminine, Grazia en premier, c’est plus le truc qui parle à notre clientèle, je pense. Il y a aussi Glamour et Vogue, plus pour l’image et le shooting.

Je vais aussi souvent voir et suivre l’actu de BonneGueule.fr parce qu’on est très proche. Les blogs masculins du style ‘comme un camion’. En fille, ‘Make my lemonade’. Il y a aussi Café Mode, car Géraldine Dormoy, une copine, a toujours un regard très pertinent sur ce qu’il se passe. Il y a aussi Fiona Schmidt qui a lancé son blog éponyme, très drôle et assez acerbe sur le milieu de la mode,

Je suis beaucoup les blogs sur Facebook, je m’abonne à leur flux et je regarde un peu ce qu’il tombe. Par exemple, je regarde beaucoup ce que fait Konbini.


Es-tu connecté 24h/24 ou ce n’est pas ton modus operandi ?

Si, si, je suis connecté 24h/24. C’est un vrai problème.


Une journée sans IPhone, pour toi, c’est…

Impossible ! Je reçois 20000 mails par mois. En moyenne, 20000 mails par mois, c’est 700 mails par jour, donc je suis tout le temps connecté, sinon, je n’arrive pas à suivre le flux. Que ce soit en vacances ou ailleurs, je suis toujours un peu accro.


Si on voulait te trouver dans un endroit parisien, dans un rare moment de détente et de « déconnexion » ?

Je serai le dimanche matin à 9 heures au Ten Belles Café avec ma femme et mon bébé, avec des jeunes parents. En général, tu vas trouver 4 couples avec un jeune bébé de moins d’un an au Ten Belles Café. T’es réveillé et tu te dis, et si on allait prendre le petit déjeuner dehors et tu finis au Ten Belles. C’est assez drôle, c’est un univers que je ne connaissais pas avant, le dimanche matin à 9 heures. C’est assez sympa car tu as l’impression d’avoir une ville où tout le monde dort ou toi, t’es un peu tout seul. Le Ten Belles est un endroit génial pour prendre son petit déj, c’est super agréable.

 

Régis est aussi co-auteur du livre « Les nouveaux créateurs à Paris », Editions du Chêne, un guide shopping avec une sélection de 50 créateurs.

Portrait : Julie Perrot