Sabrina Marshall & Sofia Bernardin

Resee, c’est la rencontre entre Sofia Bernardin & Sabrina Marshall. Ces deux anciennes de la presse magazine (mode bien sûr !) fusionnent leurs talents et expériences afin de donner une seconde vie à une sélection pointue de pièces vintage rares et d’articles de mode d’occasion de qualité.


Comment a débuté l'histoire Resee?

Resee: Lors d’un déjeuner, au Toraya, il y a deux ans et demi. Nous échangions sur le fait qu’il manquait quelque chose sur internet. Toutes les deux, nous adorons la mode vintage et nous avions remarqué qu’il n’y avait pas de site internet incarnant notre style, nos points de vue, qui mêle contenu éditorial et e-commerce et, surtout, où l’on puisse vendre et acheter facilement.
Nous travaillons toutes les deux et n’avons pas forcément le temps de passer ebay au crible ou de passer des heures à photographier nos vêtements ! En un mot, tout a commencé le jour où nous avons réalisé que nous recherchions toutes les deux en vain un site dédié aux belles pièces vintage qui soit à la fois intéressant, moderne et avec un contenu bien organisé.


A cette époque, un an et demi avant les débuts de Resee, quels métiers exerciez-vous ?

Sofia: Je travaillais chez Condé Nast, pour le Vogue américain à New York, puis à Paris. A la base, j'avais quitté Condé Nast en 2009 pour monter mon entreprise, mais j’y suis revenue en tant que consultante externe. Je gérais la partie business de Condé Nast Asie, environ 15 titres à travers de nouveaux marchés très intéressants. À l'exception du Japon, qui était déjà un marché bien établi dans le luxe, le reste, comme la Chine et l'Inde, étaient des marchés complètement nouveaux. C’était super excitant. Je passais mon temps à voyager, à rencontrer des marques qui n'avaient jamais fait de pubs sur ces marchés avant, et à les aider à comprendre le marché du luxe dans ces régions. C’était fascinant car j’ai dû comprendre la manière dont les gens consomment en Asie, ce qui est complètement différent de la façon dont nous faisons nos courses à Paris ou à New York, par exemple.


Et toi Sabrina?

Resee: J’étais rédactrice mode à Self Service. Je m’occupais des dossiers de mode, de la définition des thèmes de la saison au contenu éditorial en passant par le shooting photo. Je travaillais également pour des marques en matière de publicité et de conseil. J’ai ainsi fait les campagnes d'APC notamment.


Dans le monde du net, on rencontre pas mal de personnes qui viennent plutôt du monde du marketing, par exemple, mais qui ont toujours été intéressées par les fringues. A l’inverse, vous êtes toutes les deux issues du monde de la mode, c’est bien ça ?

Resee: Oui. Exactement. Mais nous avons tout de même eu des expériences différentes et c'est ce qui nous rend si complémentaires. Cela se traduit dans l’esthétique de Resee et sa touche en plus qui fonctionne plutôt bien !


Vous êtes-vous rencontrées à Paris ou à New York ?

Resee: A Paris. Une fois par mois, on se retrouvait pour déjeuner au Casti ou au Toraya. Un jour, alors que nous parlions vaguement du projet qui allait devenir Resee, on s’est dit : « Allez, maintenant, on se lance ! ». Deux jours plus tard, nous en parlions plus en détail puis nous avons commencé à élaborer notre business plan et voilà, c’est arrivé, simplement, facilement. Cela a pris forme presque immédiatement, très rapidement en tous cas.


Petit retour en arrière. Venant des Etats-Unis, qu’est-ce qui vous a amenées à Paris ?

Sabrina: Je suis à moitié française en fait, ma famille vit ici. J'ai étudié ici pendant un trimestre à Parsons, puis je suis retournée aux Etats-Unis et revenue à Paris pour un stage. Je devais rentrer à New York mais ce stage s’est transformé en emploi. J’assistais une styliste et là, je me suis dit : « pourquoi partir ? ». J’étais à Paris avec LE job de mes rêves, je suis donc restée, et cela fait 10 ans aujourd’hui !


Et toi, Sofia ?

Sofia: Mon histoire est tellement ringarde! J'ai rencontré mon copain, qui est désormais mon mari, à 25 ans, alors que je travaillais pour Vogue. Il vivait à New York mais était sur le point de revenir à Paris pour ouvrir son premier restaurant. Je me suis dit : « Qu’est-ce que j’ai à perdre ? Qu’est-ce qui pourrait m’arriver de mal ? Je déménage à Paris, j’apprends le français, si cela ne marche pas, je rentre à New York. Je suis dans la mode, le marché bouge constamment, je pourrai retrouver du boulot ». Mais je ne suis jamais retournée aux US !


N’êtes-vous pas arrivées à un point où vous vous sentez plus Française qu’Américaine ou alors, êtes-vous plutôt une Américaine à Paris ?

Sabrina: Je pense que nous sommes pareilles : moitié/moitié, toutes les deux. Tu sais, tu es Américaine, mais esthétiquement et personnellement, tu n’es plus si Américaine que cela. Tu es Américaine mais quelque chose a changé. Je rentre à New York ce week end, j’adore, surtout l’énergie que tu y trouves, mais tu te sens différente, comme si tu avais une chose en plus en toi désormais.

Sofia: C’est un mix qui fonctionne si bien, on prend le meilleur des deux mondes. Ici, en particulier par rapport à l’approche que nous avons de notre site internet, nous sommes plutôt américaines : ne t’arrêtes pas, remets-toi toujours en question, l’échec n’existe pas, on apprend de tout, travailles, travailles, travailles, travailles.

Et puis, quand vous retournez aux Etats-Unis, tout le monde fonctionne comme cela et vous pensez : « non, calmes-toi, déconnectes un peu, laisses un peu ton iPhone et tes emails de côté ! »


Parlons un peu de Resee. Dans les faits, qui fait quoi? Comment ça marche ?

Sabrina: Nous sommes toutes deux très impliquées dans l’approvisionnement des vêtements. De plus en plus de personnes nous envoient des vêtements, ce qui est une évolution très importante pour nous. Parfois, cela va être juste un article, d’autres fois, ce sera une collection personnelle entière. Une fois que nous recevons les produits, nous les examinons sous tous les angles, nous corrigeons les imperfections si elles existent (nous ressemelons toutes les chaussures, par exemple), puis nous les prenons en photo.

Sofia: Il est essentiel pour nous de raconter une histoire avec ces produits. Évidemment, nous sommes très « sélectives ». Je sais que c'est un terme qui est utilisé à tout-va en ce moment mais pour nous, c’est vraiment le cas, tout s'inscrit dans un thème, tout a une histoire. Donc, vous n'achetez pas seulement un top de Balenciaga. En fait, vous achetez un article issu d’une collection particulière, emblématique, une des premières ou dernières de Nicolas Ghesquière, par exemple. Nous avons vraiment placé les produits dans leur contexte, ce que personne d'autre ne fait.

 

Au fond, c’est peut-être parce que vos expériences antérieures étaient dans la mode que l’on retrouve des éléments de l’histoire de la mode sur votre site. Quand je vais sur votre site, j’apprends !

Sabrina: Oui, c'est exactement ça! C'est ce que nous voulons faire. Prenons notre sélection « 90’s Miu Miu ». Pourquoi cette sélection ? Parce qu’elle est fabuleuse, certes, mais surtout, ce que je souhaitais montrer, c’est qu’il y avait cette époque formidable pour Miu Miu dans les années 90 lorsqu’ils avaient leur petite boutique rue du Cherche Midi, c'était vraiment emblématique de cette époque.
Il y a des choses qui ont été oubliées mais sur lesquelles nous souhaitons remettre les projecteurs, de façon à ce que nos clients comprennent vraiment. Nous essayons de proposer des choses qui soient à la fois accessibles et instructives. Je pense que les gens réagissent de façon positive à cela.

Sofia: Il y a aussi la question du mélange. Nous avons toujours en tête la femme d’aujourd’hui, la femme moderne. Elle ne s’habille pas des pieds à la tête en Céline ou en Chanel. Elle fait le mix non seulement entre les marques mais aussi entre les périodes, présent et passé. Et c'est aussi ce que nous avons voulu transmettre avec le nom Resee : « oui, vous avez vu cela auparavant, mais nous remettons le tout en contexte, à nouveau. »

 

Je pense qu’il y a clairement une vision internationale de cette entreprise. Est-ce que cela a toujours été le cas pour vous, dès le début de votre projet notamment ?

Sofia: Oui, absolument. Nous avons toujours voulu être un site global, qui reflète ce que Sabrina et moi sommes, en tant que personnes. Je suis Cubaine d’origine, j’ai grandi au Brésil, puis j’ai atterri aux Etats Unis et à Paris. Je pense que notre site est le reflet de ce que nous sommes. Pour ce qui est du site, nous ne voulions pas avoir une identité géographique, nous ne voulions pas que les gens pensent que c’était un site américain ou un site français. Aujourd’hui, nous vendons dans le monde entier, dans plus de 35 pays tant en Australie qu’en Ouzbékistan ! C’est ce qui nous rend si fières, cette vision globale de Resee, car nous pensons que toute femme peut s’y identifier, peu importe où elle vit.


D'un point de vue entrepreneurial, n’avez-vous jamais des moments où cette vision globale peut paraître effrayante ou trouvez-vous tout cela naturel ?

Sabrina: Moi, cela m’excite totalement ! Je me dis : "oh mon dieu!". De savoir que l’Australie ou la Corée regarde notre site, ouah ! Je pense que c’est ce que qui m’excite le plus. De penser que vous approchez tant de gens, et que vous rendez cette mode accessible, c’est vraiment la partie qui nous plaît le plus.


Vous êtes-vous toujours imaginées entrepreneuses ?

Sofia: Je pense que j’ai toujours eu ça en moi. Je crois que tu l’as en toi ou tu ne l’as pas. Ce n’est pas une bonne ou une mauvaise chose, mais il y en a certains qui rêvent de créer par eux-mêmes et ne pas être enfermés dans un certain rythme ou une manière de travailler. Ceci étant dit, je trouve que d’avoir travaillé en entreprise comme à Vogue par exemple, c’est la meilleure formation car cela vous donne une certaine structure et le sens des responsabilités dont vous avez besoin au quotidien ensuite en tant qu’entrepreneur.

Sabrina: De mon côté, j'ai toujours été freelance. Même à Self Service, j’avais ma propre entreprise avec mes propres clients…


Et si quelqu'un aujourd’hui vous disait : «Je souhaite créer ma propre entreprise en ligne », quels conseils lui donneriez-vous?

Sofia: Je pense qu’un bon associé, c’est primordial. Je sais que Resee n'aurait pas existé si nous n’avions pas été deux. L’une motive l’autre et vice versa. Nous nous remettons en question, mais quand l’une doute, l’autre est là pour pousser la première. C’est tellement important. Dans la vie privée comme dans la vie professionnelle.

Je pense qu’être spontané et instinctif est très important. Les gens ont tellement d'avis différents. Votre mère, votre frère, l'homme qui vous sert votre café le matin, tout le monde va vouloir vous donner son avis ! Donc, suivez toujours votre instinct, faîtes ce que vous jugez bon de faire. Si vous restez fidèle à votre vision et faîtes ce que vous pensez être ce qu’il y a de mieux, normalement, ça marche.


Je reviens au monde de la mode maintenant : y a-t-il eu des articles que vous avez eu chez Resee qui vous ont particulièrement plu ?

Resee: Oui! La veste en cuir Balenciaga!


Pouvez-vous juste me montrer comment vous avez réagi quand vous l’avez vu dans vos bureaux ? (rires)

Sabrina: On a eu le vertige ! On a crié : « Génial ! ça c’est une super découverte ! » Je crois que l’on a dû sauter de joie en fait ! Et puis bien sûr, on s’est posé deux fois la question à savoir si on allait l’acheter nous-mêmes sur le site plutôt que de le vendre !


Tiens, d’ailleurs, quels sont vos sites de shopping préférés, ceux sur lesquels vous achetez en ligne ?

Sofia: Le mien, c’est Farfetch.

Sabrina: Je dirais Muzungu Sisters. Vous pouvez trouver des articles du monde entier. Je le trouve assez sympa.


Et quels sont les blogs ou les sites que vous lisez ?

Sabrina: Je lis le Financial Times! J'adore leur édition du week-end, leur section «venez déjeuner avec ». Et Goop! - Je suis une grande 'goopeuse’! Je pense que c'est mon blog lifestyle préféré. Et Garance.  

Sofia: J'aime beaucoup un blog qui s’appelle «Warscapes » - vraiment très sympa. Il va dans des pays déchirés par la guerre et leur donne une voix. Il montre par exemple l'art, la poésie, la musique et la littérature qui continuent d’être actifs dans ces zones - c'est toujours très intéressant.


Côté professionnel, avez-vous un héros du net, quelqu’un que vous avez toujours admiré ?

Sofia: Carmen Busquets, c’est une héroïne, toujours aussi visionnaire, elle savait ce que tout le monde voulait avant qu'ils le sachent ou que n'importe qui d'autre le sache. C’est aussi une femme très forte avec un point de vue marqué.

Sabrina: Liz Tilberis, c’est une icône. J'adore cette période de Harpers Bazaar. Je lis sa biographie en ce moment, elle est tellement inspirante. Elle a vraiment fait évoluer les magazines.

Sofia: Je suis d'accord. C'est génial d'observer quelqu'un qui réagit à ce qui manque. C'est ce que nous avons essayé de faire avec Resee...
 

Portraits : Aisling Greally // Trésor Parisien